Nous connaissons tous les poèmes d’Arthur Rimbaud, mais celui-ci a aussi joué le rôle de marchand d’armes, retour sur cet épisode.
En septembre 1885, Arthur Rimbaud se voit proposer un marché par le Français Pierre Labatut, un trafiquant établi au Choa, royaume abyssin de Ménélik, négus du Shewa (Choa) jusqu'en 1889 et futur Roi des Rois (Negusä nägäst ou Negusse Negest) d'Éthiopie. Voyant là l'opportunité de faire une bonne affaire, et de changer le cours de sa vie tout en ayant un rôle géopolitique à jouer, Rimbaud n'hésite pas à s'associer avec Labatut pour acheter en Europe des armes (passablement obsolètes) et des munitions. Ainsi, ils comptent réaliser de substantiels bénéfices en satisfaisant une commande du négus du Shewa, qu'ils auront de cette façon contribué à établir comme unificateur de la région, et comme opposant aux harcèlements de l'armée italienne. L'intégrité du pays sera établie lors de la décisive bataille d'Adoua deux décennies plus tard. Après avoir conclu cet accord, qui sera payé ensuite par le père du futur Haïlé Sélassié Arthur rompt brutalement le contrat qui le lie avec la maison Bardey. Quant à Mariam, elle est renvoyée dans son pays avec quelques thalers en poche.
Fin novembre 1885, Rimbaud débarque dans le petit port de Tadjourah, en terre dankalie, pour monter une caravane en attendant que les armes soient réceptionnées à Aden par Labatut. Lorsque ce dernier arrive fin janvier 1886 avec le chargement (deux mille quarante fusils et soixante mille cartouches), l'organisation de la caravane rencontre des difficultés. D'abord entravés par les exigences financières du sultan qui tire profit de tous convois en partance, les voilà empêchés d'entamer leur expédition à la mi-avril : l'interdiction d'importer des armes vient d'être signée entre Anglais et Français. Les deux associés écrivent alors au ministre des Affaires étrangères le 15 avril pour se sortir de cette impasse. Ils obtiennent gain de cause, mais tout est remis en question quand Labatut, atteint d'un cancer, est obligé de rentrer en France (il mourra en octobre suivant). L'explorateur Ugo Ferrandi (it) rencontre Arthur Rimbaud à ce moment et le décrit ainsi : « Grand, décharné, les cheveux grisonnants sur les tempes, vêtu à l'européenne […] avec des pantalons plutôt larges, un tricot, une veste ample couleur kaki, il ne portait sur la tête qu'une petite calotte également grise et bravait le soleil torride comme un indigène. ».
Avec l'aval officiel du Consul de France, et muni d'une procuration de Pierre Labatut, Rimbaud se tourne vers Paul Soleillet, célèbre commerçant et explorateur, qui lui aussi attend une autorisation pour faire partir sa caravane. En associant leurs convois, ils s'assurent d'une meilleure sécurité pour la traversée du territoire des redoutables guerriers danakils. Hélas, frappé d'une embolie, Soleillet meurt le 9 septembre.
En France, Illuminations et Une saison en enfer sont parus dans les numéros de mai à juin et de septembre 1886 de la revue symboliste La Vogue, sans que l'auteur en ait connaissance.
Se retrouvant seul, Rimbaud part en octobre 1886, à la tête de sa caravane composée d'une cinquantaine de chameaux et d'une trentaine d'hommes armés. La route pour le Choa est très longue : deux mois de marche jusqu'à Ankober. Après avoir traversé les terres arides des tribus danakils sous une chaleur implacable, le convoi franchit la frontière du Choa sans avoir été attaqué par les pillards. Et c'est dans un environnement verdoyant que la caravane atteint Ankober le 6 février 1887. Rimbaud y trouve l'explorateur Jules Borelli.
Borelli le décrit ainsi :
« M. Rimbaud, négociant français, arrive de Toudjourrah, avec sa caravane. Les ennuis ne lui ont pas été épargnés en route. Toujours le même programme : mauvaise conduite, cupidité et trahison des hommes ; tracasseries et guet-apens des Adal ; privation d'eau ; exploitation par les chameliers...Notre compatriote a habité le Harar. Il sait l'arabe et parle l'amharigna et l'oromo. Il est infatigable. Son aptitude pour les langues, une grande force de volonté et une patience à toute épreuve, le classent parmi les voyageurs accomplis. »
Ménélik est absent, étant parti combattre l'émir Abdullaï pour s'emparer d'Harar. Rimbaud aussitôt arrivé, les chameliers, un créancier de Labatut et la veuve abyssinienne de ce dernier viennent lui réclamer avec insistance ce qui leur est soi-disant dû. Agacé par leur rapacité, il refuse de céder à leurs demandes. Ils s'en plaignent auprès de l'intendant du roi qui abonde en leur sens et le condamne à verser les sommes demandées. Au lieu d'Ankober, Ménélik va revenir en vainqueur à Entoto. Rimbaud se rend là-bas avec Borelli. Sur place, en attendant l'arrivée du roi, Rimbaud entre en contact avec son conseiller, un ingénieur suisse nommé Alfred Ilg avec qui il entretient de bons rapports. Suivi de sa colonne armée, Ménélik arrive triomphalement le 5 mars 1887. Il n'a plus vraiment besoin d'armes ni de munitions, car il en ramène en grande quantité. Il accepte néanmoins de négocier le stock à un prix très inférieur à celui escompté. De surcroît, il ne se prive pas d'exploiter la disparition de Labatut, à qui il avait passé commande, pour retrancher du prix la somme de quelques dettes supposées. Suivant cet exemple, « toute une horde de créanciers » (réels ou opportunistes) de Labatut viennent harceler Rimbaud pour être remboursés à leur tour. Ménélik n'ayant pas d'argent pour le payer, Rimbaud est contraint d'accepter un bon de paiement devant lui être réglé à Harar par le ras Makonnen, cousin du roi.
Pour qu'il aille au plus court pour toucher son argent, Ménélik lui donne l'autorisation de prendre la route qu'il a ouverte à travers le pays des Itous. Cette route étant inexplorée, Borelli demande au roi la permission de l'emprunter. Rimbaud quitte donc Entoto le 1er mai 1887, en compagnie de Borelli. L'itinéraire traverse des régions inexplorées : ils furent ainsi les premiers européens à explorer l'Ogaden dans l'Éthiopie. Leurs observations et descriptions sont scrupuleusement relevées et consignées à chaque étape. Jules Borelli les retranscrit dans son journal de voyage. Rimbaud, pour sa part, transmet ses notes à Alfred Bardey qui les communiquera à la Société de géographie. Au bout de trois semaines, la caravane arrive à Harar. Borelli retourne à Entoto quinze jours après. Rimbaud, quant à lui, doit attendre pour se faire payer, mais le ras Makonnen n'a pas d'argent et transforme son bon de paiement en deux traites payables à Massaoua. Après avoir repris la route en direction de Zeilah, Rimbaud regagne Aden le 25 juillet 1887. Le 30 juillet, il fait un compte-rendu détaillé de la liquidation de sa caravane au vice-consul de France, Émile de Gaspary. Résultat de « cette misérable affaire » : une perte de 60 % sur son capital, « sans compter vingt et un mois de fatigues atroces ».
Avec l'intention de prendre un peu de repos en Égypte, Rimbaud embarque avec son domestique au début du mois d'août 1887 pour encaisser ses traites à Massaouah. Lorsqu'il est arrêté à son arrivée le 5 août 1887 pour défaut de passeport, l'intervention de Gaspary est nécessaire pour lui permettre de poursuivre sa route. Il est alors nanti d'un passeport, de l'argent de ses traites et d'une recommandation du consul de France de Massaouah à l'attention d'un avocat du Caire. Il débarque à Suez pour se rendre en train jusqu'à la capitale, où il arrive le 20 août 1887. Dans une lettre aux siens du 23 août, il se plaint de rhumatismes à l'épaule droite, au bas du dos, à la cuisse et au genou gauche.
Rimbaud entre en relation avec Borelli Bey (Octave Borelli), frère aîné de Jules Borelli et directeur du journal Le Bosphore égyptien. Il lui adresse les notes de son expédition du Choa, publiées dans ce journal les 25 et 27 août 1887.
Après avoir placé sa fortune dans une succursale du Crédit lyonnais, Rimbaud ne sait où aller pour travailler à nouveau ; il pense à Zanzibar et à Madagascar. Il sollicite une mission en Afrique à la Société de géographie à Paris, sans succès. Il retourne à Aden début d'octobre 1887. Dans cette ville, les déconvenues de sa livraison d'armes le poursuivent. Il doit encore justifier le paiement d'une dette de Pierre Labatut à un certain A. Deschamps (l'affaire sera soldée le 19 février 1891, après d'interminables échanges de courriers).
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